Un ami m’a récemment interpelé au sujet de l’euro. Pour lui, la crise démontrerait la pertinence de la monnaie unique européenne. Ce n’est absolument pas mon opinion et cela me donne l’occasion de faire un bilan de cette expérience monétaire bien hasardeuse.
Le mythe de la protection
Pour être honnête, il faut bien reconnaître que la monnaie unique a eu quelques effets bénéfiques. Tout d’abord, elle facilite les échanges (frontaliers, touristiques, commerciaux) au sein de la zone, même si elle n’a pas fondamentalement accéléré un mouvement qui lui préexistait largement. Ensuite, dans un premier temps, la convergence des taux longs a permis aux pays qui souffraient d’une forte prime de risque de réduire considérablement le coût de leur dette.
Mais cette convergence s’est interrompue en 2008 et nous sommes revenus à la situation d’avant l’euro. Et contrairement à un mythe persistant, l’euro ne nous a pas protégés pendant cette crise, bien au contraire. Il faut être bien naïf pour gober ce poncif euro-béat. En effet, la crise a été plus forte de ce côté-ci de l’Atlantique, ce qui devrait largement suffire pour démontrer que la monnaie unique n’a absolument pas amorti la crise (sinon, la récession aurait été moins forte en Europe).
La plaie de la surévaluation
En fait, et c’est malheureusement ce que je soutiens depuis toujours, l’euro est un boulet accroché aux économies européennes, qui pénalise la croissance économique des pays membres. La raison est assez simple : hormis à sa naissance et pendant quelques temps, l’euro est une monnaie structurellement surévaluée. Les économistes estiment son cours à 1,05-1,1 dollar à parité de pouvoir d’achat, soit une surévaluation de 25% aujourd’hui (qui a atteint 50% mi-2008).
La plaie de la désinflation compétitive
Il faut dire qu’outre le niveau trop élevé de l’euro, les pays de la zone souffrent de la politique de désinflation compétitive, conséquence logique de l’unification monétaire. En effet, dans un système de parité complètement fixe, chaque point de hausse de salaire de moins que le voisin est un point de compétitivité coût de mieux qui permet de gagner la bataille commerciale. C’est ce que l’Allemagne a compris depuis le milieu des années 1990 et applique avec toute sa rigueur.
Pire, ce comportement bien peu collectif a toutes les chances de pousser les autres pays à adopter la même politique de rigueur salariale absolue pour ne pas perdre en compétitivité. Mais déjà que cette politique avait un impact extrêmement négatif quand elle était uniquement poursuivie par l’Allemagne, elle pourrait se révéler désastreuse si davantage de pays y cédaient, car cela réduirait encore le potentiel de croissance d’une zone qui n’a déjà pas brillé dans ce domaine depuis 10 ans…
La plaie de la bulle et de la rigueur
Mais ce n’est pas tout. L’autre problème majeur de l’euro est d’imposer une même politique monétaire à un ensemble de pays aux réalités trop disparates. Autant les taux sont généralement trop élevés pour des pays comme la France et l’Allemagne, autant ils ont longtemps été trop faibles pour des pays à croissance et inflation plus fortes. 4% était beaucoup trop peu pour une Irlande dont la croissance nominale du PIB flirtait avec les 8% ou même pour l’Espagne ou la Grèce.
Loin de freiner une croissance un peu excessive, la politique monétaire a nourri cette croissance, accentuant les disparités au lieu de les réduire. Mais le retour à la réalité a été brutal. Cette croissance exubérante, provoquée par l’euro, a entraîné des bulles et une inflation trop importante qui ne peuvent être soldées aujourd’hui que par des programmes de rigueur absolument impitoyables, alors que la responsabilité même de la bulle vient d’une politique monétaire inadaptée !
Une Zone Monétaire Non Optimale
En fait, les défauts de l’euro sont insurmontables car la zone euro n’est absolument pas une Zone Monétaire Optimale, comme le définissent les économistes, à savoir une zone géographique apte à partager une même monnaie. Aucun des trois critères nécessaires n’est rempli, à savoir la convergence macro-économique, la mobilité des travailleurs et l’existence d’un budget central. L’euro n’était qu’une aventure politique destinée à contraindre les Etats à construire l’Europe sur un modèle fédéral.
L’alternative de la monnaie commune
Mais alors, que fait-on après la monnaie unique ? Il y a une solution qui permettrait de conserver l’euro tout en en corrigeant les faiblesses, à savoir en faire la monnaie commune de l’Union Européenne et réintroduire des monnaies nationales qui permettront à chacun de mener des politiques adaptées aux différentes réalités nationales. Par exemple, un tel mécanisme aurait permis aux Banques Centrales Espagnole et Irlandaise de monter leurs taux pour éviter la formation d’une bulle immobilière.
En outre, une telle construction (basée sur un Système Monétaire Européen permettant des dévaluations et des réévaluations) rendrait caduque les politiques excessives de désinflation compétitive, ce qui pousserait l’Allemagne à adopter une politique plus tournée vers la croissance que vers le contrôle des salaires. Mieux, un tel euro, qui deviendrait une monnaie d’échange, pourrait déborder du cadre de l’Union Européenne pour devenir un véritable rival du dollar, ce qu’il n’a pas fait aujourd’hui.
Aujourd’hui, les maigres avantages qui subsistent de l’euro apparaissent dérisoires par rapport aux plaies qu’il provoque. Finalement, ce seront peut-être les marchés qui viendront à bout de la monnaie unique, même si les pesanteurs politiques imposeront sans doute un délai important…
Laurent Pinsolle